30 octobre 2007

Lafarge, le développement durable a ses limites


D'un côté : les images du parc naturel de Bamburi, au Kenya, aménagé sur une ancienne carrière, ou bien la lande retrouvée de Dinmor, un site jadis exploité sur l'île d'Anglesey, au large du Pays de Galles... Autant de "bonnes pratiques" que le cimentier Lafarge se plaît à citer lorsqu'il met en avant son attachement au développement durable.


De l'autre : une histoire sans doute moins exemplaire, et au sujet de laquelle le numéro un mondial du secteur se montre plus discret. Elle concerne pourtant le "projet le plus ambitieux du groupe" : la cimenterie de Chatak, au Bangladesh, approvisionnée par un tapis roulant de dix-sept kilomètres de long qui achemine le calcaire extrait depuis la région du Meghalaya, en Inde. Un exploit tout aussi technique que diplomatique.

Or, fin avril, le ministère indien de l'environnement et des forêts a ordonné l'arrêt de l'extraction. Motif : Lafarge aurait omis de demander une autorisation lui permettant d'exploiter en zone forestière. Le cimentier assure que cette autorisation ne lui a jamais été réclamée. Et que, pour lui, la zone n'est pas forestière.

C'est sur ce point que porte la polémique. Le conservateur en chef des forêts, qui a porté plainte, estime en effet que la carrière et le rail d'évacuation sectionnent une forêt primaire qu'il convient de protéger pour sa biodiversité. Le rapport d'évaluation sur l'impact environnemental du projet, réalisé par le cabinet Environmental Ressources Management (ERM) et fourni par Lafarge, estimait, à l'inverse, que la zone possède " une diversité florale et botanique faible". Le différend a été porté devant la Cour suprême indienne, dont un premier avis est attendu aux alentours du 2 novembre.

Cette histoire est d'autant plus troublante que le cimentier est d'ordinaire cité en exemple. Le développement durable fait partie de sa carte de visite et pas un grand débat sur l'éthique des entreprises ne peut se tenir en France sans que son emblématique patron, Bertrand Collomb, devenu président d'honneur du groupe en mai, n'y soit convié.

PARTENARIAT AVEC LE WWF

L'angélisme n'est pas pour autant de mise. Le développement durable n'est pas pour Lafarge un luxe, mais une nécessité. "Il m'est très vite apparu que la poursuite de notre activité exigeait de se placer dans un cadre de responsabilité environnementale", explique Bertrand Collomb. La demande de ciment va exploser de 80 % d'ici à 2020, principalement dans les pays émergents, où le groupe réalise déjà la moitié de son chiffre d'affaires. Mais dans ces pays comme ailleurs, personne n'a envie de voir une cimenterie à sa porte : paysage détruit, bruit, vibrations, poussières, pollution...

En 2001, Lafarge a noué un partenariat avec le WWF, qui l'accompagne dans sa démarche de responsabilité. L'organisation non gouvernementale l'aide à préserver la biodiversité sur ses sites d'exploitation et suit ses efforts pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Lafarge qui, en 2006, a relâché dans l'atmosphère 93,5 millions de tonnes de CO2, soit autant que la Grèce, s'est engagé à réduire de 20 % d'ici à 2010 les émissions par tonne de ciment produite. A ce jour, l'entreprise déclare les avoir réduites de 14,2 %.

"Tout n'est pas parfait chez Lafarge, admet Jean-Paul Jeanrenaud, du WWF, mais Lafarge fait preuve de transparence." La position de l'ONG n'est pas confortable : dès que Lafarge est prise à partie quelque part dans le monde, c'est vers elle qu'on se tourne. Mais comment pourrait-elle être au courant de ce qui se passe dans les deux mille implantations de la multinationale ?

Lafarge, comme toutes les grandes entreprises françaises, publie chaque année un rapport de développement durable. Fait peu fréquent, elle y donne la parole aux ONG, dont les commentaires sont parfois critiques. Dans la limite des informations en leur connaissance, évidemment. Les commissaires aux comptes du cabinet Ernst & Young, qui certifient le rapport, n'ont, eux aussi, qu'une vision partielle de la situation. Ils le reconnaissent d'ailleurs prudemment, en précisant que leur travail ne couvre qu'un quart des initiatives de Lafarge dans le domaine environnemental. En 2006, leur certification repose sur la visite de seulement sept sites.

Les grandes ONG françaises admettent ne pas avoir les moyens de passer au crible le discours des multinationales. Et les cabinets d'audit et agences de certification sont soumis à des devoirs de réserve ou pris dans des relations de clientèle qu'ils reconnaissent sans difficulté.

Il faut finalement se tourner vers une religieuse passionnée par le monde de l'entreprise pour entendre une parole plus libre : Cécile Renouard, diplômée de l'Essec, soeur de l'Assomption, a fait sa thèse sur La Responsabilité éthique des multinationales (Presses universitaires de France, 2007). Elle a suivi Lafarge sur le terrain. "Le décalage existe entre le discours tenu au siège et la réalité des filiales, observe-t-elle. Les entreprises ont tendance à jouer sur la publication de leurs meilleures pratiques, sans se soucier de leur transposition dans d'autres pays au contexte différent sinon plus difficile. Lafarge comme les autres."

Laurence Caramel
Article paru dans Le Monde, édition du 30.10.07.

L'environnement, parent pauvre des rapports d'entreprises

Depuis 2003, les entreprises françaises cotées sont obligées de rendre compte de leur gestion sociale et environnementale dans leur rapport annuel. Mais, selon une étude du Centre français d'information sur les entreprises, qui a passé en revue ces rapports, très peu d'informations y sont en réalité données sur les risques environnementaux et leur prévention. "La question des rejets, des nuisances et des déchets fait curieusement défaut dans de nombreux rapports, même si les émissions de gaz à effet de serre font désormais l'objet d'une attention (presque) générale", note l'étude, qui décerne la meilleure note du "reporting environnemental" à Accor et à BNP Paribas.

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